L'Oeil Curieux

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samedi 27 avril 2013

Noir et Blanc d'Espagne

Je conserve un souvenir très fort de ma première lecture de l'Espoir de Malraux .
Le rythme des premières pages, avec ces appels téléphoniques qui disent la situation entre républicains et nationalistes, crée une tension qui reflète bien la Guerre d'Espagne, une guerre idéologique.



Pour faire court, le 17 juillet 1936, un coup d'État militaire et nationaliste tente de renverser le gouvernement républicain, issu de la victoire du Frente Popular (Front Populaire), coalition de gauche, aux élections générales de février 1936.
Le putsch se transforme ensuite en une guerre civile qui dure jusqu'à la victoire de nationalistes et la mise en place de la dictature franquiste.

La guerre d'Espagne est une tragique répétition de la guerre mondiale à venir : les nationalistes sont soutenus par l'Allemagne Nazie et l'Italie Fasciste, les républicains par l'Union Soviétique.
Les démocraties occidentales, préfigurant les accords de Munich de 1938, appliquent une frileuse politique de non-intervention.
A défaut d'un soutien officiel des états, les républicains reçoivent l'aide de nombreux volontaires, communistes ou anti fascistes, qui viennent, du monde entier, combattre à leurs cotés, comme les Brigades Internationales, la Brigade Abraham Lincoln ou la Colonne Durruti.
Parmi les plus connus: Hemingway, Georges Orwell, Simone Weil et André Malraux.
Les populations civiles sont durement éprouvées par les combat et les bombardements aériens comme à Guernica.
Au sein même du camp républicain, des affrontements sanglants opposent les communistes prosoviétiques aux anarchistes et au communistes du POUM.

Le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme nous permet de replonger dans cette époque trouble et passionnante par une exposition tout simplement exceptionnelle.

La Valise mexicaine dont il est question contenait 4500 négatifs d’images de la guerre civile espagnole, prises entre 1936 et 1939 par Robert Capa, mais aussi par sa compagne Gerda Taro et par David Seymour, dit Chim.

© International Center of Photography. Boîte rouge de la valise.
© International Center of Photography. Boîte rouge de la valise.

Perdus depuis 1939, la valise et son précieux contenu ont réapparu en 2007.

En 32 stations, l'exposition nous propose de découvrir la vision de moments particuliers de la guerre d'Espagne à travers le regard des trois photographes.
Pas uniquement avec des tirages, certains connus et d'autres moins, mais surtout avec des planches contacts qui nous permettent de revivre les événements en découvrant alors la séquence vécue et capturée par le photographe.

Parcourir cette exposition nous permet aussi d'assister, de l'intérieur en quelque sorte, à la naissance du photojournalisme de guerre moderne, avec trois figures légendaires, dont un couple romanesque et engagé, Capa et Taro.

Fred Stein. Gerda Taro et Robert Capa sur la terrasse du café Le Dôme à Montparnasse (Paris, début 1936)© Estate of Fred Stein - International Center of Photography
Début 1936, Terrasse du café Le Dôme à Montparnasse, Paris
Gerda Taro et Robert Capa
© Estate of Fred Stein - International Center of Photography

Je ne connais pas d'autres cas d'une couverture photographique d'un conflit par un couple.
Février 1937, Cité universitaire, Madrid, Espagne. Un officier républicain et Gerda Taro. © Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.
Février 1937, Cité universitaire, Madrid, Espagne.
Un officier républicain et Gerda Taro.
© Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.

Gerda Taro meurt en 1937 pendant la bataille de Brunete et il est très émouvant de découvrir ses clichés, dont ceux réalisés juste avant son décès.
Mai 1937, Valence, Espagne. Foule à la porte de la morgue après un raid aérien. Gerda Taro © International Center of Photography/Magnum Photos.
Mai 1937, Valence, Espagne.
Foule à la porte de la morgue après un raid aérien. Gerda Taro
© International Center of Photography/Magnum Photos.

Robert Capa couvre ensuite la Seconde Guerre mondiale, fonde, en 1947 avec Henri Cartier-Bresson, George Rodger and David "Chim" Seymour, l'agence coopérative Magnum et meurt en 1954 en Indochine.
Février 1937, Madrid, Espagne. Deux soldats républicains et un ours. © Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.
Février 1937, Madrid, Espagne.
Deux soldats républicains et un ours.
© Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.

Espagne, le 7 novembre 1938, près de Fraga, sur le front d’Aragon. Les troupes loyalistes pendant l’offensive le long du Rio Segre. © Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.
Espagne, le 7 novembre 1938, près de Fraga, sur le front d’Aragon.
Les troupes loyalistes pendant l’offensive le long du Rio Segre.
© Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.

Le Barcarès, mars 1939, France. Des exilés républicains escortés par un policier français. © Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.
Le Barcarès, mars 1939, France.
Des exilés républicains escortés par un policier français.
© Robert Capa © International Center of Photography/Magnum Photos.

David Seymour meurt lui durant l'affaire du canal de Suez en 1956.
Chim, Chim (David Seymour), Femme allaitant son bébé durant un meeting sur la réforme foncière, Badajoz, Estremadure, Espagne, 1936 ©© Estate of David Seymour / Magnum Photos
Fin Avril, Début mai 1936, près de Badajoz, Estremadure, Espagne
Femme allaitant son bébé durant un meeting sur la réforme foncière
© Estate of David Seymour / Magnum Photos

Février 1937, Bilbao, Espagne. Parade © David Seymour/Magnum Photos.
Février 1937, Bilbao, Espagne
Parade
© David Seymour/Magnum Photos.

Pablo Picasso Guernica
Pablo Picasso Guernica

Picasso devant son tableau Guernica © David Seymour/Magnum Photos
Picasso devant son tableau Guernica
© David Seymour/Magnum Photos

Pour l'histoire de la Guerre d'Espagne, pour l'histoire de la photographie, il faut aller Rue du Temple.
Vous ne pourrez pas dire que j'ai prévenu trop tard: un billet deux mois avant la fin d'une exposition est bien le signe d'une exposition exceptionnelle !


L'histoire de la valise mexicaine de Robert Capa par telerama



La valise mexicaine de Robert Capa racontée par... par telerama



jeudi 18 avril 2013

Vive émotion Impasse Lebouis

Elles attendaient au fond de la salle du second étage.
Quatre d'entre elles m'étaient déjà connues.
Forcément, des photographies de guerre, des icônes du photojournalisme devenues simplement des icônes de la photographie !
Mais je ne les connaissais qu'imprimées dans des livres, et jamais dans une telle proximité.

Alors quand j'ai découvert ces images de guerre et ce sidérurgiste aux yeux embrasés du feu des hauts fourneaux, l'émotion m'a submergé, littéralement.
Je suis resté de longues minutes à porter le regard de l'une à l'autre, un peu en retrait du flot des visiteurs.
Des têtes me les masquaient parfois et j'attendais la fin de l'éclipse pour bruler à nouveau mes rétines au noir & blanc de ces chefs d’œuvre.

W. Eugene Smith, Sidérurgiste, Pittsburgh, Pennsylvania, 1955. ©Magnum Collection/Magnum Photos
Mort d'un milicien © Robert Capa, 1936 Eddie Adams, Exécution d'un suspect viet-cong, Saigon, 1968
Robert Capa, Omaha Beach, Normandy, France Evgueni Khaldei - Le drapeau rouge sur le Reichstag, Berlin, 2 mai 1945

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  1. W. Eugene Smith, Sidérurgiste, Pittsburgh, Pennsylvania, 1955. ©Magnum Collection/Magnum Photos
  2. Robert Capa, Mort d'un milicien © Robert Capa, 1936
  3. Eddie Adams, Exécution d'un suspect viet-cong, Saigon, 1968
  4. Robert Capa, Omaha Beach, 6 juin 1944, Normandy, France
  5. Evgueni Khaldei - Le drapeau rouge sur le Reichstag, Berlin, 2 mai 1945


Les petites images pleines de pixels ne pourront jamais sourdre de la puissance des sels d'argent des tirages d'époque.

Peu de clichés concentrent autant de l'histoire de la photographie de guerre.

Le doute plane encore sur l'authenticité de l'image de ce milicien républicain fauché en pleine course, situation reconstituée ou réel et tragique instant volé.

Pour le drapeau rouge sur le Reichstag, aucun doute, il s'agit d'une mise en scène, reproduisant l'allégorie des marines américains plantant la bannière étoilée à Iwo Jima.
Mais un des soldats soviétiques portait une montre à chaque bras, indice d'un probable pillage, et l'image fut donc retouchée pour devenir « présentable ».

Pas de doute non plus pour le cliché d'Omaha Beach.
Robert Capa était certainement capable de tordre la réalité et la lecture de ses mémoires « Slightly out of focus »(Juste un peu flou) confirme un goût certain pour l'embellissement.
Mais son courage était tout aussi indéniable et il était bien au milieu des GI's débarquant sur « Omaha la sanglante ».
Cette image et 10 autres rescapées faillirent n'être jamais vues, car une erreur de manipulation détruisit la quasi-totalité des négatifs lors du séchage.

Quant à l'exécution du suspect viet cong, elle valut à son auteur, Eddie Adams, le prix Pulitzer mais contribua à retourner l'opinion publique contre la guerre du Vietnam.

Et derrière l'ouvrier de W. Eugene Smith, hallucinant portrait expressionniste, se cache l'histoire d'un reportage qui ne devait durer que 3 semaines et qui finalement dura 3 ans.

Si l'émotion n'a pas été aussi forte devant toutes les images de la collection d'Howard Greenberg, la visite reste l'expérience unique du parcours d'une riche encyclopédie de la photographie.
J'ai ressenti l'excitation et le plaisir du galeriste quand il pouvait ajouter une photographie à sa collection, après en avoir vendu tant d'autres qu'il ne pouvait s'offrir.

Et j'ai imaginé que je pourrais en choisir quelques-unes, pour les ramener dans mon intérieur.
Quelques unes avec lesquelles j'aimerais vivre, jour après jour.

De Walker Evans, célèbre pour ses portraits de fermiers pauvres durant la grande dépression, j'accrocherais cette belle mise en abime de la photographie. Walker Evans, Penny Picture Display, Savannah, 1936
Walker Evans, Penny Picture Display, Savannah, 1936

« Le motard et le radiateur » deviendrait une mystérieuse fable graphique, m'interrogeant à chacun de mes regards.
Lee Friedlander, Floride, 1962
Lee Friedlander, Floride, 1962

Je ne me lasserais jamais de ce tableau abstrait de Siskind.
Aaron Siskind, Jerome, Arizona 1949, © Aaron Siskind Foundation
Aaron Siskind, Jerome, Arizona 1949
© Aaron Siskind Foundation

J'attendrais avec patience de voir disparaître l'ombre chinoise dans la fenêtre.
Robert Adams ‘Colorado Springs, Colorado’ 1968
Robert Adams ‘Colorado Springs, Colorado’ 1968

Enfin, je serais toujours étonné de la douceur qui émane de ce tricycle dans la neige, bien éloignée des inquiétants personnages masqués dont raffolait Ralph Eugene Meatyard.
Ralph Eugene Meatyard, Untitled, c. 1955
Ralph Eugene Meatyard, Untitled, c. 1955


samedi 11 décembre 2010

Photographes de Guerre, je vous admire !

Pourquoi cette déclaration ?
Parce que, ce samedi matin, j'ai reçu dans ma boite mail un appel à la solidarité pour Joao Silva, Photographe de Guerre, qui a perdu ses deux jambes sur une mine en Afghanistan.
Je ne connaissais pas ce photographe, et j'ai découvert ses clichés avec bonheur.
J'ai parcouru sa galerie et j'ai retenu cette photo, image tranquille d'une guerre, qui comme toutes les guerres, est tout sauf tranquille.

Afghanistan, Kandahar province, Arghandab district, checkpoint 16, 23rd Oct 2010.
Joao Silva : Afghanistan, Kandahar province, Arghandab district, checkpoint 16, 23rd Oct 2010
© 2010 Joao Silva

Le pied de poupée qui dépasse, dans le dos du soldat, est son pied "porte bonheur", donné par un ami.
Cet ami disait être revenu vivant d'un tour d'opération en Iraq, grâce à ce "porte bonheur".
Plus tard, le même jour, João Silva perdait ses deux jambes sur une mine anti-personnel.

J'ai écrit un message de soutien à joão.

Je suis venu à la photographie par la découverte de Gilles Caron et de ses clichés mythiques de Mai 68.
J'ai ensuite découvert ses reportages de guerre, sur le Vietnam en particulier, qui est sans doute le conflit avec la plus intéressante des couvertures photographiques.

US soldier, Battle of Dak To, Hill 875, South Vietnam, November 1967
Gilles Caron : US soldier, Battle of Dak To, Hill 875, South Vietnam, November 1967
© Fondation Gilles Caron Contact Press Images

J'ai continué à photographier, bien loin des conflits armés, mais mon admiration pour ces photographes de guerre n'a jamais disparu.

Je suis toujours très ému, devant la grosse poignée de clichés de Robert Capa, prises à Omaha Beach, le Jour J.


Robert Capa: American Troops Landing on D-Day, Omaha Beach, Normandy Coast (1987.1100.501) | Heilbrunn Timeline of Art History | The Metropolitan Museum of Art

Capa était avec les soldats de la première vague débarquant sur Omaha "la Sanglante". luttant dans la mer, pour rejoindre un abri sur la plage, sous le feu des armes allemandes
Ses photos sont d'une force incroyable, parce qu'elles nous transportent, dans l'eau, trempés, assourdis par le bruit des balles, titubant sous le poids du paquetage et de l'uniforme imbibé.

Comme beaucoup d'autres, Capa et Caron sont morts sur un théâtre d'opérations, le premier en Indochine en 1954, le second au Cambodge en 1970, pour nous montrer la guerre.

J'ai simplement dit à João, qu'il était à leurs cotés, dans mon petit panthéon personnel, mais vivant, et que c'était une bonne nouvelle.

Pour leurs clichés, leur courage et leur engagement, oui, j'admire les photographes de guerre.

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